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JOUARS-PONTCHARTRAIN OU « LA VILLE DES DIEUX » .

A l’heure où Pontchartrain va pouvoir bénéficier de son appartenance au dispositif « Petites villes de demain", au moment même où la municipalité annonce lancer "un travail de trois mois, afin de définir un « plan guide » pour une vision de notre futur à 15 ou 20 ans avec Monsieur Alexandre Chemetoff, un grand architecte urbaniste et paysagiste (Grand prix de l'urbanisme en 2000 et Grand prix national EcoQuartier en 2011), touché par notre histoire », il nous parait opportun de rappeler l’extraordinaire potentiel de notre commune tel qu’il était développé et mis en valeur dans le rapport Mme Fortier-Kriegel en 2004.


Dans ce rapport de presque 300 pages commandé en son temps par la Direction Générale de l’Urbanisme, de l’habitat et de la construction, Mme Fortier-Kriegel, architecte et paysagiste, experte au conseil général des Ponts et Chaussées, docteur de l'École des hautes études en sciences sociales et professeur à l'école d'architecture de Lille, rendait compte de sa « Mission sur l’histoire et la modernité du paysage des régions de France ».


Nous publions ci-après les pages de ce rapport concernant Pontchartrain (les photos illustrant le rapport ont été prises en 2020 ne font donc pas partie du travail de Mme Mme Fortier-Kriegel).


Le site de « la ville des Dieux » révélé par l’artisan du Roi Soleil ou Jouars Pontchartrain.


Entre « Les pays de Seine, Normandie et Chartrain » 248, dans le département des Yvelines, à 35 kilomètres de Paris, à 15 km de Versailles, ceinturé par l’urbanisation nouvelle de St Quentin en Yvelines et de Plaisir, le site de Jouars Pontchartrain se présente comme une oasis agricole exceptionnellement préservée. Il a conservé le mystère de la ville antique ensevelie et oubliée dans son sous-sol. Il est aussi marqué par l’art de l’aménagement à la Française dès les débuts du monde moderne pour organiser le territoire national. Il couvre un périmètre de deux mille hectares.



Le site de Jouars Pontchartrain présente (comme à Versailles) une vallée suspendue au dessus du niveau de la Seine, il rassemble les eaux de plusieurs ruisseaux et rivières ; le ru d’Elancourt, la Mauldre, le Lieutel, la Guyonne…, qui ont creusé comme un amphithéâtre dans les plateaux du Bassin Parisien. Il offre aujourd’hui un paysage doucement ondulé appuyé sur les grands coteaux de Neauphle et de Saint-Quentin et sur les buttes boisées qui annoncent la forêt de Rambouillet.


Jouars Pontchartrain n’est pas un élément isolé, il participe du réseau fondateur du territoire national. Attaché à la construction de l’Etat royal, il appartient au grand système 249 classique des établissements aristocratiques de la région Parisienne. Ce réseau est formé d’abord par les résidences royales du Louvre à Paris, puis par celles de Versailles, St Germain, Marly, St Cloud, Vincennes, Meudon.., enfin par les domaines des grands serviteurs de l’Etat avec (à titre d’exemple) Colbert à Sceaux et Maurepas à Pontchartrain.

On se souvient que depuis le XVIe siècle, la chasse et l’exploitation rationalisée du bois ont généré de grands parcs et l’aménagement des forêts.



Le château de Pontchartrain implanté dans un point bas déploie la grammaire des établissements seigneuriaux, un petit parc, un grand parc, des pièces d’eau, des perspectives axées sur le château... Arrivant du coteau de St Quentin à l’est, le château est mis en scène par la construction d’un grand axe qui le signale depuis Sainte-Apolline, comme élément d’importance. Le rond point en haut du coteau, puis à l’ouest, le carrefour de la grande croix, préfigurent sa découverte. La démesure de l’axe qui se prolonge au delà du château à l’ouest en fait le plus long jamais réalisé par Le Nôtre. Il montre toute l’importance et la puissance du château. Ce n’est qu’au deux-tiers de la pente que l’on découvre le château niché dans le creux de vallée. Le passage des grilles d’entrée révèle par un soudain agrandissement visuel, un palais présenté dans toute la largeur de sa façade. Le Nôtre a transformé entièrement le parc en allongeant démesurément, jusqu’à 13 km, les perspectives 250. L’axe dessiné par Le Notre a permis de donner un sens à l’orientation de la terre du domaine dans une sorte de révélation. Ainsi, à partir du château, le paysage est donné à voir et à comprendre, le regard s’élève doucement jusqu’à l’horizon pour une prise en compte du domaine dans sa totalité. Ce grand art de l’aménagement à la Française fait penser à l’axe de Paris. Mais ici, l’ensemble est attaché à l’aménagement de la région de Versailles dont Pontchartrain forme l’un des domaines satellites 251. Pour bien le comprendre, il faut se souvenir que Le Nôtre a été envoyé à Pontchartrain par le Roi lui-même. Il s’agit donc d’un des derniers ouvrages de ce grand artiste et peut-être de son chef d’œuvre. Pour la qualité de sa réalisation et le suivi des travaux Le Nôtre s’est appuyé sur le Frère François Romain 252, moine convers, auteur par ailleurs de la construction du pont Royal à Paris.


248 - Voir l’Atlas des pays et paysages des Yvelines, cité par Gaele de Bettignies, Rapport sur le projet de classement du site de la perspective de Pontchartrain, Diren, Ile de France, octobre 2000, p. 16.

249 - Voir sur ce point, la carte des Chasses levée entre 1764 et 1773 qui présente les tracés d’aménagement qui en se superposant aux tracés agraires vont permettre l'agencement des grands domaines aristocratiques. Cité par M.H Hadrot et G.Poisson, in Paris et Ile de France, Mémoires publiés par la Fédération des Sociétés Historiques et Archéologiques de Paris et de l’Ile de France, Tome 29, Paris, 1979, p.257.

250 - De Sainte Apolline à la Queue des Yvelines. Voir Bernard Gégauff, grands domaines, études de cas, Château de Pontchartrain, IAURIF, 1984, p.7

251 Ce point de vue est confirmé par Georges Poisson, Le domaine de Pontchartrain, in Paris et Ile de France, t. 29, 1978, p. 228 à 266. Et, Paul Checcaglini, conversation informelle au CGPC du 21.04.04. qui précise : « Versailles était, au moment de la construction de l’Etat central appuyé sur la bourgeoisie et la noblesse de robe parisienne contre l’aristocratie « provinciale » ou plutôt « adossée à ses bases provinciales », était un système centré sur lui-même (pouvoir d’Etat/cour mais avec des sous-systèmes organisés autour des grands serviteurs. Pontchartrain était la base spatiale d’un de ces sous systèmes et le laisser disparaître revient à faire disparaître une partie de Versailles auquel il appartient.

252 - Voir Franklin Hamilton Hazlehurzt, Gardens of illusion, The genius of André Le Nostre, Vanderbilt University Press, Nashville Tennessee, 1980, p. et M.H Hadrot et G.Poisson, in Paris et Ile de France, Mémoires publiés par la Fédération des Sociétés Historiques et Archéologiques de Paris et de l’Ile de France, Tome 29, Paris, 1979, p. 239 qui précise que : François Romain, né à gand en 1646, dominicain, faisait partie de ces nombreux frères convers qui, à l’époque s’adonnaient aux travaux techniques. (…) C’est lui qui , dans le domaine dirige les travaux de tous ordres, construction, irrigation, routes, arpentages, plantations des jardins. Il installe tout le système hydraulique qui, domestiquant la Mauldre, alimente bassins, douves, jets d’eau et un canal, sur le s plans de Le Nostre.



Si la réalisation de le Nôtre apparaît encore aujourd’hui réussie, cela tient au fait que le créateur a su révéler dans ce site l’esprit du lieu, la « Ville des Dieux ». Diodurum 253, installée au creux de la plaine à l’endroit même du domaine aristocratique, était une cité antique de la Gaule du Nord. Sans doute l’une des plus vaste d’Ile de France, elle couvrait une superficie de 50 hectares, ce qui la rendait quasiment aussi étendue que Lutèce, la capitale des Parisii... Diodurum semble avoir été une ville-étape à 15 lieues de Lutèce, moins d’une journée de cheval. Elle était installée au carrefour de deux voies romaines stratégiques, Paris-Dreux (d’est en ouest) et Chartres-Les Mureaux (du sud au nord). Sa situation, en fond de vallée de la Mauldre, dans un milieu humide a permis la conservation de nombreux vestiges tant sur le plan des aménagements urbains que sur celui de matériaux habituellement périssables. Par là, on possède des informations utiles sur le mode de vie, la végétation et le paysage environnant qui attestent la présence d’une cité active et riche, dotée d’une vie urbaine et d’une activité commerciale importante. Selon les archéologues qui ont réalisé les fouilles 254 (lors des travaux attachés à la déviation de la RN 12 de 1996 à 1999, 10% du site ont été étudié), la cité gallo-romaine possédait tous les équipements traditionnels des villes antiques : un théâtre, un forum, des thermes et un temple sanctuaire. Des éléments manquent encore pour comprendre la fin de l’occupation de la ville qui, semble péricliter vers le Ve siècle.



La ferme d’Ithe 255 apparaît assurément comme l’un des derniers témoins de cette occupation qui a donné naissance à Jouars où passe l’ancienne voie romaine (Itinéraire d’Antonin) 256 puis plus tard à Jouars-Ponchartrain. Situé sur une courbe de niveau légèrement surélevée, Jouars (sans doute la nécropole de la ville antique) apparaît comme une île qui surplombe les champs. Au delà de la ville, les villages médiévaux se sont implantés sur les buttes ou à mi-côte ; Ergal, Le Tremblay, Neauphle protègent l’espace agricole.



Ce site est ainsi témoin d’une urbanisation vieille de plus de deux mille, il a été préservé par la culture de la terre et sa géographie a été magnifiquement mise en valeur par l’intervention d’un grand créateur. La plaine enrichie de 2000 ans d’intelligence humaine se déploie entre la terre et le ciel. La terre d’abord, au creux de la vallée, où tout semble à échelle humaine et il émane de l’espace agricole une impression de bien-être. De grandes surfaces céréalières labourées et cultivées ont ouvert une étendue vaste où, le regard porte à dix kilomètres. Pourtant on se sent aussi protégé par la couronne de collines qui délimite la vallée. Une marqueterie de couleurs (jaunes des colzas et verts plus profonds des blés) participe à la beauté des champs, dont les herbes printanières ondoient au moindre souffle d’air. Les routes suivent la micro topographie du site, elles permettent la découverte d’évènements familiers : un poirier, un mini bosquet, des fontaines en forme de bornes témoins de l’histoire participent au charme du lieu.

Le ciel ensuite, du fait de l’influence de la géographie, prend ici une importance très forte et joue comme la terre du contraste des couleurs selon l’heure et le temps ; d’un bleu azur à la Boucher, il devient avec l’orage d’un bleu violet ténébreux.

Placé sous un climat tempéré le site révèle une lumière particulière et subtile : blanche et mauve, réchauffée en permanence par le jaune de la pierre meulière des habitations, la couleur bistre des troncs tachetés des platanes, le jaune vert de leurs feuilles. Ainsi ce paysage, reflet de l’extrême délicatesse de l’Ile de France présente l’expression apaisée de l’art de vivre à la française dans sa quête humaine du bonheur.


253 Voir sur ce point O. Blin, Rapport d’étude : Projet patrimonial et archéologique, Mairie de Jouars-Pontchartrain, AFAN Centre-Ile-de-France, Paris, Service Régional de l’Archéologie d’Ile de France, SaintDenis, Septembre 2000, L’origine du site n’est pas très documentée, on suppose que la ville est établie sur un village gaulois plus ancien car le site était déjà occupé au néolithique. L’agglomération gallo-romaine se développe à partir du premier siècle avant J.C probablement jusqu’au VI e siècle.

254 Voir sur ce point l’article de Eve Roger, Sous Jouars-Pontchartrain la ville des dieux, l’autre Lutèce Diodurum, in le Nouvel Observateur, n°1876 du 23 octobre 2000.

255 Voir J. Christmann, Un habitat antique entre Jouars et Ithe aux deux premiers siècles, Mémoires de la Société Historique et Archéologique de Rambouillet et de l’Yveline, t. XXXIII, 1970, p.95-102.

256 Traversant d’est en ouest, de Paris à Dreux, cité par Gaele de Bettignies, Rapport pour le projet de classement de la perspective du château de Pontchartrain, Diren, Ile de France, octobre 2000, p.27.



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