de l’empreinte gallo-romaine au berceau de l’Europe.
M. Martí Grau, Chef du service du Parlement européen à la Maison Jean Monnet et conservateur, nous autorise à publier un article à paraître prochainement sur le site de l'association "Les Promenades urbaines" [1], créée par le Centre Pompidou, la Cité de l’architecture & du patrimoine, le CAUE de l’Essonne, le CAUE du Val-de-Marne et le Pavillon de l’Arsenal.
Le bassin de la Haute Mauldre est une formation qui se distingue nettement dans l’orographie du département des Yvelines, entre la Forêt domaniale de Rambouillet, la Plaine de Versailles et les Plateaux de Saint-Quentin et de Mantes. Anciennement un endroit vallonné et marécageux, il présente aujourd’hui l’aspect d’une plaine traversée par la Mauldre et ses affluents, de nombreux cours d’eaux de présence souvent cachée. Cela lui a valu le nom traditionnel de Plaine de Neauphle ou encore Plaine de Jouars.
Si le premier fait référence aux communes de Neauphle-le-Vieux et Neauphle-le-Château, où se trouvaient respectivement l’abbaye de Saint-Pierre, avec un important essor territorial à l’époque médiévale depuis sa fondation en 1078, et un château fort qui dominait la plaine avant d’être détruit pendant la Guerre de Cent Ans, on doit la deuxième appellation au petit hameau de Jouars, nom qui dérive de Diodurum, désignation latine de la vaste agglomération gallo-romaine qui s’est établie dans la zone.
La transformation du peuplement de Diodurum, à travers les siècles et bien au-delà de son abandon en tant que centre urbain à la fin de l’Antiquité, redonne à la région une occupation humaine de faible intensité, mais y imprime aussi de nombreux témoignages de toutes les époques, qui ont traversé les siècles jusqu’aujourd’hui.
Il en va de même avec le fait que, dans l’époque contemporaine, plusieurs artistes, écrivains et hommes d’État voient en ce lieu l’endroit idéal pour se « mettre au vert » (une expression que j’emprunte ici au Parc Naturel Régional de la Haute Vallée de Chevreuse) : les demeures locales d’illustres comprennent celle de Maurice Ravel à Montfort-l’Amaury, celle de Colette à Méré, celle de Marguerite Duras à Neauphle-le-Chateau ou celle de Jean Monnet à Houjarray (hameau de Bazoches-sur-Guyonne). En effet, c’est ici que le Père de l’Europe rédigea en 1950 le texte fondateur de l’Europe unie -la Déclaration Schuman, qui jeta les bases de la Communauté Européenne du Charbon et l’Acier- et poursuivit son activisme inlassable durant les presque quatre décennies suivantes. On peut donc affirmer que si l’État moderne naquit à Versailles au rythme de la construction du grand château voulu par Louis XIV, son dépassement par le biais d’une Europe supranationale se produit également à quelques kilomètres de là, dans une modeste chaumière nichée dans le système désuet des étangs et rigoles qui, depuis les Étangs de Hollande et de Saint-Hubert jusqu’à Marly et la Seine, alimentaient en eau la réalisation titanesque du Roi Soleil.
Aujourd’hui, à la Maison Jean Monnet, le Parlement européen s’investit à la fois pour entretenir la mémoire des premiers pas de la construction européenne ainsi que pour permettre la définition d’un avenir conforme à ses enseignements. Il convient aussi de se pencher sur les conditions de longue durée qui, au beau milieu du 20ème siècle, permirent -ou poussèrent, selon les points de vue-, les Européens à s’unir. C’est aussi à cela que s’attèle l’équipe muséale du site. La construction d’un récit historique qui puisse interpeler tous les Européens trouve un appui particulièrement pertinent dans la richesse patrimoniale et paysagère de la plaine et de ses environs.
Les lieux La ferme d’Ithe demeure aujourd’hui le point visible de la localisation de Diodurum située en partie sous les terres du château de Pontchartrain, grâce aux murs de la grange cistercienne qui exploita les lieux dès le Moyen-Âge central jusqu’au 20ème siècle.
L’apparition d’un bon nombre de hameaux sur les premières élévations douces bordant la plaine, peut être reliée à l’abandon de Diodurum à la fin de l’Antiquité. Les fouilles de la nécropole mérovingienne et carolingienne de Vicq ont offert une profusion de matériel avec peu d’égal en France ; les traces du Moyen-Âge central ne manquent pas non plus, avec les églises de Saint-Martin à Jouars et à Bazoches-sur–Guyonne, les abbayes de Neauphle-le-Vieux et de la Haute Bruyère à Saint-Rémy-l’Honoré, à la source même de la Mauldre. Le tout nous offre un panorama historique d’exception sur la formation des premières sociétés complexes et leur atomisation postérieure.
Le va-et-vient de la guerre dans la région est représenté par les érections et destructions de châteaux-forts sur un deuxième cercle d’élévations plus marquées : le donjon de Maurepas, le château de Neauphle, les tours de la duchesse Anne à Montfort, le château médiéval de Pontchartrain, sans oublier le peu connu, et probablement plus ancien, château de la Hunière au Tremblay.
Ci-dessus l'église St Martin à Jouars - Tours de la duchesse Anne à Montfort à Monfort - Le château de Neauphle-le-Vieux.
Le façonnement décisif de l’État moderne que marque la construction du Château de Versailles laisse aussi une empreinte paysagère durable sur la plaine : la dynastie ministérielle des Phélypeaux, vrai pilier de la monarchie de l’ancien régime, agrandit le château de Pontchartrain à l’image du siège de la cour, en faisant appel aux mêmes architectes et créateurs. Les constructions et un aménagement territorial d’ensemble relièrent des fiefs grandissants : les fermes des Mousseaux et d’Ergal en font partie, de même que les Phélypeaux financèrent la construction de l’église de Saulx-Marchais. Si l’importance première de ces structures palatiales peut être observée dans l’appartenance du Père Joseph -éminence grise du Cardinal de Richelieu- à la famille propriétaire du château de Tremblay, le phénomène se poursuivit après la Révolution, à travers l’achat et la transformation du relais de chasse des Fauvettes à Neauphle-le-Vieux, par la duchesse de Brissac, puis vit un dernier et resplendissant essor avec le château de Groussay, où demeura Madame de Tourzel, la gouvernante des enfants du Temple.
Le passage d’illustres marque particulièrement l’époque contemporaine - la poésie d’Hugo rend hommage aux tours de Montfort, Musset fait des escapades au Gai Relai de Pontchartrain, récemment réhabilité-, et c’est surtout à partir du XXème siècle que de nombreuses maisons de villégiature font leur apparition. À nouveau, les illustres y sont nombreux : pour ne s’en tenir qu’aux voisins de Jean Monnet, Alvar Aalto construit la maison de Louis Carré et à quelques mètres Brigitte Bardot transforme sa maison en refuge pour la sauvegarde des animaux.
Les axes
Si, en attendant la création du Centre d’Interprétation d’Architecture et Patrimoine de la Haute Mauldre, la Maison Jean Monnet se pose en observatoire privilégié de la plaine, c’est aussi parce qu’elle se trouve à la croisée des axes historiques qui ont fait son identité. Elle est située à quelques pas de la voie romaine qui reliait Poissy à Chartres, tandis que juste derrière la colline de Bazoches se trouve celle qui reliait Beauvais à Orléans. Le carrefour où elles se croisaient à Diodurum était également à l’intersection de la voie qui menait de Lutèce (Paris) à Dreux, et qui demeurait un chemin historique.
Au XVIII ème siècle, Jean-Frédéric de Maurepas, comte de Pontchartrain, fait dévier à partir de Sainte-Apolline la route de Paris-Brest devenue trop dangereuse en passant jusqu’alors par les Bordes de Neauphle-le-Château.
Afin de compenser le chaland en bord de route, devenu depuis l’axe urbain du bourg de Pontchartrain, il y crée également la Place Ronde avec son haha s’ouvrant sur le parc du château. Le Gai relai s’inscrit autour de cette place. A partir des années 2000, une seconde déviation de la RN12 prend place au sud, dans la plaine.
Le segment de Sainte-Apolline à l’entrée du bourg devenant le point de départ de la grande perspective, 13 kms s’étendant de Sainte-Apolline à la Queue-les-Yvelines, ce dernier ouvrage d’André Le Notre dépasse en longueur sa réalisation la plus célèbre, la grande Perspective de Versailles. Cette prouesse architecturale risque-t-elle aujourd’hui de disparaître définitivement ?
Desiderata
Avec le développement du réseau dénommé « RER V », en 2025 la plaine devrait être joignable à vélo depuis Paris. Les extrémités des deux branches du réseau, Plaisir et La Verrière, permettent de penser à des prolongations non goudronnées qui suivraient les anciennes artères romaines, qui restent aujourd’hui encore des chemins historiques pour la plupart encore praticables. Le défi ne consiste pas tant à en récupérer le tracé qu’à ôter les obstacles qui s’y superposent. Le projet de passerelle sur la RN12 dans l’étude commanditée par la DRAC d’Île-de-France, Les nouveaux chemins de la vallée de la Haute Mauldre constitue un exemple de ce qu’il est possible de faire pour que les arrivants à Plaisir -qu’ils soient cyclistes ou randonneurs- puissent pénétrer jusque dans la forêt de Rambouillet à travers la plaine. Le même projet de passerelle -pourrait-on le reconvertir en « éco-duct[2] » ?- redonnerait tout son sens au domaine agricole s’étendant entre la ferme d’Ithe et le Pontel, tel que proposé par le Plan de Biodiversité du PNR[3], avec le potentiel de devenir la clef de voûte d’une connexion cyclable entre Rambouillet et la Seine par le cours inférieur de la Mauldre.
Quant au futur point d’arrivée du RER V à La Verrière, l’ancien chemin romain qui menait de Coignères à Saint-Léger croise ici la voie se dirigeant vers Orléans, à l’endroit même au se dressait jadis l’Abbaye de la Haute Bruyère, nécropole des seigneurs de Monfort et qui a aussi abrité pendant longtemps le cardiotaphe de François I avant son transfert à Saint-Denis. Le segment du tracé de l’ancienne voie d’Orléans, entre Les Essarts-le-Roi et Saint-Rémy-l’Honoré, vient d’être supplémenté d’une piste cyclable qui permet de rejoindre la plaine du côté de la ligne ferroviaire Paris-Rambouillet, en retrouvant en premier lieu la zone où le Plan de Biodiversité du PNR situe un autre projet de parc agricole, entre la Dauberie (hameau de Jouars-Pontchartrain) et la colline de Bazoches. La jonction entre les 2 parcs agricoles sud et nord prendrait alors tout son sens en traversant la plaine et à l’aide de la passerelle sur la RN12, le parc du château de Pontchartrain.
Serait-il possible de donner une unité à ces espaces proposés à la conservation et à la jouissance ? D’une part dans le but d’accueillir de nouveaux visiteurs, mais aussi pour servir à cette réflexion d’ensemble, la Maison Jean Monnet se dote de nouvelles infrastructures et de nouveaux services, en 2022 notamment avec l’ouverture prochaine d’une structure d’hébergement annexe à son centre de conférences et l’arrivée de nouvelles équipes de travail. Le lieu est propice à la réflexion, à l’étude du lien entre le local et le global, le tout sous un éclairage résolument européen. Si ce site a la volonté d’accroître son rayonnement, il souhaite le faire en synergie et concertation avec son environnement immédiat. Ainsi, pourrait-on concevoir un Espace Agricole et Paysager de la Haute Mauldre susceptible de mettre en valeur la rivière et ses affluents, en prenant en compte à la fois les problématiques liées à la mobilité douce ainsi qu’à la biodiversité. Le segment de la Guyonne entre Mareil-le-Guyon et la RN12 offre un parfait exemple de symbiose entre les deux disciplines. Yann-Arthus Bertrand a récemment acheté 30 hectares à La Millière (hameau des Mesnuls) où se trouve par ailleurs une villa gallo-romaine, pour en protéger l’écosystème : ne nous montre pas-t-il ainsi la voie à suivre ?
Martí Grau, Chef du service du Parlement européen à la Maison Jean Monnet et conservateur.
[1] Les Promenades urbaines" : LES PERLES/Cycle de promenades-alertes « Paysage » relatives au territoire du Grand Paris en Île-de-France
[2] « Un "Ecoduct" en Forêt de Soignes: un compromis entre écologie et sécurité routière ». Rtbf, 12 mars de 2018. https://www.rtbf.be/article/un-ecoduct-en-foret-de-soignes-un-compromis-entre-ecologie-et-securite-routiere-9862266?id=9862266 [3] Plans Paysage et Biodiversité. La plaine de Jouars à Montfort. 3. Plans Guides. Parc Naturel Régionale de la Haute Vallée de Chevreuse, 2014. pp. 91-11 https://www.parc-naturel-chevreuse.fr/une-autre-vie-sinvente-ici/amenagement-et-paysages-plans-paysage-et-biodiversite/la-plaine-de-jouars
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